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Pop Concept - Glass Onion : quand Netflix explique l'effet Matilda

Comme pas mal de monde, vous avez peut-être digéré votre Noël en regardant le dernier film Netflix À couteaux tirés : Glass Onion. Outre que le décor est un régal de chaque instant pour l'historienne de l'art que je suis, empilant les Matisse, Koons et autre Joconde jusqu'à l'overdose, je n'ai pas pu m'empêcher de remarquer que le véritable coupable n'était pas forcément celui que l'on croit... et qu'il s'agit de l'effet Matilda. 

"Effet Matilda" kézaco ? C'est un concept théorisé au début des années 1980 par l'historienne Margaret Rossiter. Et il est aussi terrible que commun : il s'agit du "déni ou de la minimisation récurrente et systémique de la contribution des femmes scientifiques à la recherche et dont le travail est souvent attribué à leurs collègues masculins". Et l'histoire regorge de centaines d'exemples, dont le plus fameux est sans doute Rosalind Franklin, découvreuse de l'ADN, qui voit le Prix Nobel lui échapper pour être attribué à trois hommes. 

Même s'il est théorisé dans le domaine des sciences, l'effet Matilda peut très bien être appliqué à d'autres champs : je pense à Elisabeth Magie, véritable créatrice du Monopoly, et aux dizaines d'artistes dont le travail a été invisibilisé ou attribué à leurs confrères. Coucou Janet Sobel, inventrice méconnue de la technique du dripping, que tous les livres d'histoire de l'art attribuent à Jackson Pollock. 

 

Quel rapport avec Netflix, Daniel Craig et Glass Onion, me direz-vous ? Prenons Miles Bron, ce milliardaire technophile et mégalo à la Elon Musk joué par Edward Norton : il est évident dès le début du film que sa fortune, liée à son empire technologique, s'est aussi construite grâce au travail d'une femme Andi Brand, jouée par Janelle Monae. Une femme qu'il a évincée à la suite d'un procès pour s'accaparer leurs découvertes à son seul profit. Et plus le film avance, plus l'incompétence et la médiocrité de Bron sautent aux yeux, et plus il paraît évident que le véritable cerveau derrière ses inventions n'est autre que celui de la seule Andi Brand. 

Certes, la situation est caricaturale et poussée à l'extrême, avec un homme qui s'accroche à son mensonge grâce au chantage, mais il reflète en grossissant le trait des situations bien plus banales qu'on retrouve dans la moindre salle de réunion, dès qu'un homme s'attribue, consciemment ou non, le travail ou la réflexion d'une de ses collègues (ce qui arrive tous. les. jours.)

C’est donc bien l’effet Matilda qui est le véritable coupable dans cette histoire. Un phénomène qui invisibilise, silencie, spolie la contribution des femmes à l’histoire de l’humanité. J'ai donc apprécié que l'intrigue classique de la résolution du meurtre ait en réalité un autre objectif : rendre à César ce qui lui appartient en démasquant le véritable méchant, celui qui s'attribue le mérite d'une autre, puis en le punissant pour ce crime en révélant au monde sa terrible médiocrité. 

 

À défaut de tout cramer, comme dans le film de Netflix, mon souhait pour 2023 est d'allumer des contre-feux : porter une attention toujours plus scrupuleuse au travail de mes consœurs d'hier et d'aujourd'hui, valoriser leur travail, citer leurs noms, écrire une contre-histoire s’il le faut (comme vient brillamment de le faire Katy Hessel avec son Histoire de l’art sans les hommes, dont je vous reparle bientôt). Et pratiquer sans modération la technique de l'amplification

Publié le jeudi 29 décembre 2022

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