Mardi Matrimoine - Peggy Guggenheim
Il y a beaucoup d’expos « 100% femmes » ces derniers temps… Mais savez-vous qui a organisé la première grande exposition de ce type ?
Remontons le temps jusqu’en 1943, à New York. L’exposition en question, 31 Women, est organisée par la grande Peggy Guggenheim. Pour celles et ceux qui ne connaissent pas encore cette femme géniale, disons en quelques mots que cette héritière est l’une des plus grandes collectionneuses du 20e siècle, et qu’elle affiche un goût très sûr : que ce soit dans l'acquisition d'œuvres d'art (une par jour, dit-elle dans ses mémoires), dans le choix de ses maris (l’artiste surréaliste Max Ernst) ou de ses résidences (le sublime Palazzo Venier à Venise qui abrite encore aujourd’hui son musée).
Au début des années 1940, fuyant la France parce que juive, elle revient aux États-Unis pour y ouvrir une galerie d’art. C’est là qu’elle organise 31 Women : l’une des toutes premières expositions uniquement dédiée à des créatrices, et qui devient immédiatement un modèle du genre !
On y découvre des femmes de 16 nationalités différentes, sélectionnées avec soin. Il y a des noms comme Frida Kahlo, Meret Oppenheim et Leonor Fini, et d’autres créatrices alors totalement inconnues du public. Principalement surréalistes et abstraites, les œuvres sont exposées sans cadre, à quelques centimètres du mur, comme si elles flottaient.
L’expo ne dure qu'un mois mais cela suffit pour marquer les esprits et pour en faire une référence dans l’histoire de l’art. N’en déplaise à un grand journaliste de l’époque, qui refuse d’aller visiter l’expo sous prétexte qu’il n’y a, à son avis, aucune femme artiste qui vaille le coup de se déplacer.
On remarque cependant l’absence notable de la plus grande peintre américaine de l’époque : Georgia O’Keeffe. Cette dernière aurait en effet refusé de participer à une expo qui lui colle une étiquette "artiste femme", elle qui aspirait à être simplement artiste.
Un débat pas si éloigné de ceux qui secouent aujourd’hui les milieux universitaires et culturels après chaque expo "100% femmes" : en effet, outre l’intérêt évident de rendre visible leur travail et d’exposer leurs œuvres auprès du grand public, faut-il continuer à présenter les créatrices dans des "expos ghetto" où leurs carrières sont trop rapidement évoquées et qui semblent les isoler du reste de l'histoire de l'art ? Une fois les périodes 18e, 19e et 20e siècles balayées par différentes expos ces dernières années, ne vaut-il pas mieux, à présent, leur consacrer de grandes et belles expositions monographiques, et surtout veiller à mieux les intégrer dans l’histoire de l’art, les expositions thématiques et les accrochages permanents ?
photo : Peggy Guggenheim dans sa galerie new-yorkaise. Les 2 oeuvres au centre sont de Leonor Fini et Leonora Carrington
Article publié le mardi 6 décembre 2022